Un livre halluciné et labyrinthique qui nous plonge dans les dérives et délires d'une Bucarest étrange, fantastique et grotesque sous le régime totalitaire de Ceaușescu. Satire ésotérique et socio-psychanalyse horrifique où l'on flirte avec Kafka, Lautréamont, Burrough, Borges et Cronenberg, roman en chambres d'échos, où l'enfance palpite dans une galerie tératologique, où pullulent obsessions organiques et insectes métamorphiques, et où valsent absurde, métaphysique et onirisme cauchemardesque comme dans les ruines d'un cabinet de curiosités intime et historique. La réalité vécue comme une déformation permanente de la perception et de la conscience devient une énigme dont on ne peut s'évader et qui nous grignote de l'intérieur, une vanité à la fois fascinante et repoussante où l'on se demande ce qui va bien pouvoir nous sauver - des étoiles, de la résistance ou de la folie. Solénoïde est un ovni, surréaliste et baroque - magnétique.

Notre narrateur semble perpétuellement souffrir de gueule de bois. Écrivain opposé au régime politique autoritaire instauré en Pologne depuis plusieurs décennies (le roman instaure une temporalité floue), son heure de "gloire" est clairement passée et sa plume ne se déplace plus sur ses feuillets que pour écrire inlassablement son testament. 

Une des plus belles BD de l'année... outre le fait que l'ont ait accueilli Agustin Comotto à la librairie, vraiment, on vous assure! C'est la vie de Simon Radowitzky qui est ici narrée : une vie derrière les barreaux à la suite d'un attentat commis en Argentine. Le centre pénitenciaire d'Ushuaïa d'où il enverra son courrier qui nous sert aujourd'hui d'archives précieuses. Que signifie résister pour un idéal : celui d'établir la justice?

Même si le rejet des personnes qui se disent "normales" est tout le temps présent, Ted Gugus vit sa vie : il dort, il tombe amoureux, il se balade, il découvre la ville et excelle en tant que bibliothécaire. L'autisme n'est décidément pas une donnée palpable dans son quotidien. Pourtant, un dérapage et il se heurte au corps des soignants. Ça sent le vécu !

Au fin fond de la forêt de Suède, quatre vieux sont encore là. Ils sont encore dans ce corps de ferme où, jadis, plusieurs générations y cohabitaient. Une époque où le travail de la terre occupait toute la tête. Il n'y avait pas une minute pour penser à soi. Mais maintenant que le travail a disparu, l'ennui règne. Jusqu'au jour où les ruines derrière chez eux deviennent un monument historique : la fameuse tombe d'Yngve Frej ! Les touristes citadins déferlent et la confrontation entre ces deux mondes qui ne se comprennent pas commence. Ce roman est fin, drôle. C'est l'injonction au progrès qui est ici remise en cause sans aucune idéalisation du monde paysan pour autant. Derrière ces paysans, ce sont des vies, des vies ancrées sur un sol, où le peu de mobilité rime avec une grande richesse humaine.

Timika vit, Timika résonne, Timika grouille de monde : Freeport, l'entreprise d'extraction minière pille et saccage la terre des Papous. Indonésiens et autres arrivants se pressent à l'appât du gain : l'or semble à portée de main. Les bandits profitent et la police corrompue touche une part du gâteau.

"Être chasseur ou gibier. Tout est affaire de choix et d'opportunité. Eux ont tranché et de cet avantage, découle leur position."

"Je suis corbeau parfaitement sérieux (...) Je me propose d'étudier ici une caste primitive, nettement inférieure" : l'être humain.
Un corbeau, en bon ethnographe, s'implante en 1940 au camp du Vernet, en Ariège, pour étudier les coutumes des humains, une espèce sans ailes qui le dépasse.
Max Aub arrive, grâce à l'humour, à nous plonger dans le quotidien du camp lors de son propre internement. À quelques kilomètres d'ici, sur la route de l'Andorre, je vous conseille grandement de vous y arrêter avec ce livre en poche.

A la suite de nombreux entretiens avec des femmes qui ont le courage de mettre des mots sur leur passé, ces mots s'agencent pour tenter de briser les silences. Dans Rouge pute de Perrine Le Querrec, paru aux éditions de La Contre allée, les poèmes vont à l'essentiel, les images se multiplient : les portes qui ne protègent plus, la culpabilité qui s'enracine, les coups qui pleuvent et un "chez-soi" qui devient un véritable enfer. Le féminicide en cours n'arrivera jamais à invisibiliser la force de ces femmes. Alors, crions-le haut et fort : "Pas une de plus" et dans les pas de Gwenola Ricordeau, dans Pour elles toutes. Femmes contre la prison paru aux éditions Lux, tentons à la fois de mener une critique féministe et abolitionniste car les réponses pénales ne sont pas une solution face aux violences contre les femmes.

éditions des mondes à faire ou encore dans La supplication, de Svetlana Alexievitch nous permettent de penser le désastre nucléaire en cours. Alors, deployons bien haut nos banderoles face à ce monde qui court à sa perte : "A Bure comme ailleurs, non au nucléaire civil et militaire."

Un centre social comme lieu d'entraides et de solidarités concrètes, c'est précieux. Coline Picaud collecte les récits de vie de demandeurs d'asile, pour la plupart dublinés. Simple et incarnée, cette BD nous plonge dans la réalité de l'exil.

Grouzna tire sa roulotte et va de foire en foire dire la bonne aventure, vaillante et solitaire, épaulée d'esprits féminins qui toujours l'accompagnent, jusqu'au jour où le roi décide arbitrairement d'assigner les gens du voyage à résidence et de contrôler les mouvements et les identités, les frontières et les papiers, les métiers et les vies. Grouzna va petit à petit s'allier à d'autres ambulants refusant de plier face au fascisme, et trouver de la puissance au fil de ses rencontres.

Tel un flux de conscience, ce récit autobiographique structuré en chapitres vifs et courts nous fait pénétrer dans les réflexions d'un homme endeuillé par la mort de son père et de sa mère.

L'idée de création de parcs naturels, comme le Yellowstone ou le Grand canyon, émerge aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Cette politique de conservation, qui va venir directement se heurter aux usages locaux, est administrée par un État bureaucratique. Cet État, bien qu'autoritaire, n'arrive pas à imposer ses lois dès les premiers decrets de preservation ni à chasser les populations rurales et autochtones vivant sur les terres concernées. L'idéologie du droit d'usufruit est communement partagée dès lors qu'elle donne accès à des biens de première necessité aux individus (bois de chauffage, nourriture, ...) La propriété collective n'est bientôt plus envisageable mais la "classe ouvrière du monde sauvage" ne reste pas de marbre pour autant ! Karl Jacoby mêle ici histoire sociale et environnementale et nous nous retrouvons face à un travail où nature et humains sont intimement liés, au prisme d'une "histoire par en bas" qui mobilise les sources les plus ordinaires pour mettre en lumière les résistances infimes contre l'accaparement de la propriété collective.

Ici ça va nous réapprend à savourer les beaux moments de la vie, ou comment se reconnecter à la terre. À la suite d'un quotidien stressant et oppresant, le couple part retaper une maison familiale. Nous partons donc en forêt, en écoutant paisiblement les oiseaux et à sauver des ragodings!

M

Les frères Lehman c'est ni plus ni moins l'une des familles créatrices du système financier capitaliste actuel. Pourquoi lire un livre sur des banquiers ? Parce que c'est avec une écriture drôle et lyrique que Stefano Massini nous emporte au coeur de cette saga familiale où toutes les relations ne sont qu'intérêt pécunier, jusqu'à la chute inévitable de l'économie en 2008.

À travers le voyage initiatique de René.e, nous sommes plongés dans un monde imaginaire et enchanté. Alors que son unique ami et accesoirement son doudou Lapin Sucre Doux a disparu, nous assistons aux multiples métamorphoses de René.e. Être un garçon, une fille, un animal ou un arbre, que choisir ? La réponse n'a pas d'importance, seule la quête compte : retrouver son ami fidèle qui garde un secret inavoué.
Au fil des pages, le temps se trouble, quel âge à René.e? Enfant ou adulte? Et surtout, qui est René.e, enfant rêveur et solitaire ? Quel est son secret inavoué?

Elene Usdin réutilise les codes des contes et légendes pour transmettre un message intime sur les questions de genre et d'identité.

M.

Françoise Ega part du principe que l'on ne peut bien parler que de ce que l'on a vu : elle va alors se faire embaucher comme bonne pour pouvoir témoigner de la condition des Antillaises qui se font exploiter à Marseille dans les années 60. Elle-même le dit : " si je reste chez moi, je ne pourrai jamais voir jusqu'où va la bêtise humaine". Entendons par là la bêtise de ces "dames" qui se vantent de "posseder une Noire". Récit puissant, très bien écrit et qui met véritablement le doigt sur le travail invisible.

Plongez au cœur de l’Italie insurrectionnelle des années 70s et devenez, malgré vous, l’intime confident de Stefano Guerra, militant d’extrême droite, dont la destinée réactionnaire et chaotique vous fera parcourir la péninsule et ses ramifications politiques les plus corrompues.

Accompagnée de ses paquets contenant des lettres d’amour et des chaussettes, la narratrice déambule trois jours et deux nuits, en quête d’une liberté absolue et introuvable. Elle abandonne son poste de bonne à tout faire dans une famille bourgeoise refusant obstinément qu’on lui dise ce qu’elle doit ou devrait faire. En une seule phrase presque dépourvue de ponctuation, la narratrice montrera à tout le monde – la marchande de gant, le conducteur de bus, le pénible crieur de journaux – ce qu'est être une vraie libre, et cherchera la bagarre à quiconque l’en empêcherait. Long souffle de liberté qui balaye l’ordre – du salariat, des convenances et des files d’attentes – et ce un an avant le printemps 68, Renata n’importe quoi est tout à la fois un poème d’émancipation et un petit coup de pied cabotin.